Entretien

À propos de Fraise et Chocolat

Entretien À propos de Fraise et Chocolat Souvenirs de l’écrivain cubain Senel Paz, scénariste de Fraise et chocolat, sur ses “contributions” – dont la première est une “gaffe” pendant le tournage du film légendaire. Par Senel Paz 28 décembre 2022 Une fois que j’ai remis la version finale du scénario de Fraise et Chocolat, celle qui a remporté le prix du Festival international du nouveau cinéma, Titón (Tomas Guitierrez Alea) ne m’a plus posé de questions, et ma relation avec le film s’est pratiquement arrêtée. Je ne suis pas intervenu dans le scénario technique, ni dans le travail à table avec les acteurs et les autres collaborateurs. C’est ce qui se passe habituellement dans le cinéma. Au contraire, cela m’a permis de fouiner un peu pendant la préparation du plateau et pendant le tournage, ce qui ne m’était pas arrivé dans les films précédents auxquels j’avais participé. La plupart des réalisateurs préfèrent tenir le scénariste à l’écart du tournage. Le scénariste, à quelques exceptions près, ne souhaite pas non plus être impliqué dans le film car, après une longue période angoissante, son travail est terminé et il peut se consacrer à autre chose. Mais Titon était intéressé par mes opinions sur certains sujets. Par exemple, les lieux de tournage, en particulier La Guarida, la maison de Diego, où se trouve aujourd’hui un célèbre restaurant qui nous rappelle en permanence le film. J’ai beaucoup aimé le lieu et le travail du directeur artistique, Fernando O’Reilly, avec qui j’ai eu un échange d’idées inoubliable. Plus tard, alors qu’il ne lui restait plus que deux candidats pour le personnage de Diego, Titón m’a rappelé. Dans ce cas, il a pratiquement fait un sondage auprès de ses plus proches collaborateurs, et mon opinion était l’une de celles qui l’intéressaient le plus. Lorsqu’il vous demandait un avis, vous aviez très envie de le donner parce que vous saviez qu’il tiendrait compte de ce que vous disiez et qu’il y réfléchirait, même si au final il prenait une décision contraire à votre point de vue ; mais vous saviez qu’il en avait tenu compte dans sa réflexion. Comme tâche plus spécifique, il m’a demandé d’être aussi proche que possible des deux acteurs principaux, de leur parler de l’histoire et du contexte dans lequel elle se déroule, et de leur présenter des écrivains et des artistes qui pourraient offrir des témoignages et des expériences. J’ai rempli cette mission avec un tel dévouement et un tel plaisir que je suis devenu ami avec ces deux-là pour la vie. L’amitié entre Vladimir et Pichi est le plus beau cadeau que le film m’ait laissé. Je pense qu’ils se sentaient plus à l’aise avec moi et qu’il leur était facile de me faire part de leurs doutes ou de leurs inquiétudes, car Titón inspirait parfois un respect paralysant. Ces petites incursions dans le tournage m’ont donné l’occasion d’apporter trois “contributions” à la mise en scène, dont la première était une gaffe : j’ai ajouté au décor une photo de Marilyn Monroe qui apparaît sur la porte d’entrée. La photo était là, je ne l’ai pas prise, elle était mentionnée dans le scénario et avait une pertinence – vers la fin, il y a une référence très explicite à Certains l’aiment chaud (Some Like It Hot). Cependant, quand Titón l’a vu dans une scène qu’il n’avait pas filmée et qui étaient les premières de La Guarida, il n’a pas du tout aimé, ou plutôt, il s’est mis en colère, je ne sais pas pourquoi. Il ne pouvait pas l’enlever parce qu’il avait déjà été filmé et personne n’a dit que c’était moi qui l’avais mis là, peut-être parce que personne ne m’a vu le faire, et moi, voyant son mécontentement, j’ai décidé de me taire et je n’ai plus rien fait. Si cela avait été un peu plus tard, j’aurais rejeté la faute à Jorge Perugorría pour le voir bégayer et passer un mauvais moment. Ma prochaine “contribution” et que Titon a vraiment appréciée, était les subjectifs de David sur tout ce qui se passe dans la maison de Diego et dans la ville. Rebeca [Chávez], qui tournait son documentaire sur Titón et l’expérience du tournage du film, m’a soutenu. Le scénario marque constamment ces subjectifs, ils sont ce qui reste de la narration à la première personne dans l’histoire originale ; mais pour diverses raisons, on ne leur a pas donné d’importance et seuls quelques plans avaient été filmés, je pense qu’on les a pris comme des notes trop littéraires de ma part, ou le fait que le cinéma ne tient pas beaucoup compte de la narration à la première personne. L’acteur Vladimir Cruz – à l’époque timide et ratatiné, des qualités qui n’ont pas duré longtemps – était conscient que ces prises étaient nécessaires mais n’osait pas les exiger, et j’ai insisté sur le sujet jusqu’à devenir fatigant et, finalement, quelques-unes ont été filmés, peut-être pas autant que je voulais mais c’était bien. On ne peut pas dire que dans le film il y ait beaucoup de bons plans de la ville. La Havane faisait partie des grands amours de Titón, et pour le personnage de David c’était une révélation continue renforcée par Diego. Dans le documentaire de Rebeca, Silence, on tourne fraise et chocolat!, il y a des plans beaucoup plus significatifs, mais ils n’ont pas pu être utilisés dans le film parce qu’ils ont été filmés dans un autre format, si je me souviens bien. Ma troisième intervention pendant la mise en scène était une protestation parce que le dîner, que nous appelions “cena lezamiana” (un grand repas à la Lezama Lima), devait être filmé avec la table qui était toujours dans la cuisine et qui était ronde. Juan Carlos Tabío (coréalisateur) n’y accordait pas d’importance, mais moi, je trouvais que c’était nul et je ne sais pas si j’ai convaincu Titón avec beaucoup d’arguments ou s’il m’a fait plaisir pour que je cesse d’être une nuisance, mais finalement ils l’ont changé. J’ai également apporté le

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Entretien croisé avec KINOLATINO

Entretien Entretien croisé avec KINOLATINO Rencontre avec les fondateurs du festival KINOLATINO, les réalisateurs César Díaz, Rodrigo Litorriaga et Ronnie Ramirez. Propos recueillis par Rafael Abril 26 décembre 2022 Pouvez-vous m’expliquer d’où vient le nom du festival ? César Díaz : Notre festival possède une approche territoriale, c’est l’expérience cinématographique sur un lieu qui nous intéresse. Cela veut-dire que si un Burkinabé, un Bolivien ou si un Danois décide de filmer dans un pays du continent latino-américain, cela nous intéresse. Qu’il soit autochtone ou allochtone. Par exemple, lorsque le réalisateur thaïlandais Apichatpong Weerasethakul, Palme d’Or à Cannes en 2010, tourne son film Memoria en Colombie, ce n’est pas innocent puisqu’il n’avait encore jamais tourné en dehors de la Thaïlande. Quand Sergueï Eisenstein part filmer au Mexique ou Mikhaïl Kalatozov part filmer à Cuba, ce n’est jamais innocent. Partir ailleurs, et nous sommes bien placés pour en parler, cela exige des ressources internes très puissantes. Dans ses entretiens, Apichatpong explique son besoin de partir à la rencontre d’une autre culture pour faire une pause du pays, le besoin de se sentir étranger, filmer loin de son environnement habituel dans lequel il travaille, loin de la censure, à savoir une dictature militaire en place depuis un coup d’État en 2014. C’est comme-ci le cinéaste avait voulu mettre en évidence sa démarche d’altérité. D’ailleurs, au départ il était parti sous la fascination de l’Amazonie. Mais une fois sur place, ce sont les gens qui habitent le lieu, leurs souvenirs qui l’ont attiré. Ce n’est pas loin de la démarche qui a amené Bénédicte Lienard et Mary Jimenez a faire une trilogie cinématographique sur l’Amazonie péruvienne. Bien que c’est un regard « étranger » où « extérieur », le territoire est un prétexte pour filmer les gens, pour expérimenter l’altérité, mais aussi où le cinéaste transpose sa réalité intérieure. Ronnie Ramirez : Une autre motivation qui a attiré historiquement les cinéastes sur le continent latino-américain c’est leur démarche politique comme un acte de solidarité, comme un acte militant internationaliste ou tiers-mondiste. Je pense à Joris Ivens, avec Le Train de la Victoire, où il suit en 1964 la campagne électorale du jeune sénateur Salvador Allende. Un film prémonitoire puisque Allende gagna aux élections suivantes en 1970, ce qui permit à Ivens d’envoyer un télégramme à Salvador Allende fraîchement élu en lui disant que le train de la victoire était enfin arrivé. À la même époque, Agnès Varda partait à Cuba avec Jacques Ledoux et réalisa le film Salut les Cubains, un documentaire de vingt minutes où elle raconte la révolution par ses photographies filmées à l’aide d’un banc-titre. Je pourrais en citer d’autres comme Costa Gavras, Oliver Stone ou Robert Kramer… Mais, au-delà des tournages de films, des cinéastes comme Chris Marker ou même Pedro Almodovar ont œuvré dans le domaine de la production et distribution cinématographique entre l’Amérique latine et l’Europe. Par exemple, il faut savoir que l’aide de Chris Marker fut fondamentale pour la production du film épique La bataille du Chili du cinéaste chilien Patricio Guzman. C’est grâce à la société de production SLON dirigée par Chris Marker et ses partenaires que fut monté ce documentaire, devenu un symbole de la cinématographie de l’exil chilien, mobilisant internationalement la solidarité envers les démocrates poursuivis par la dictature militaire. Expérience qu’il prolongea d’ailleurs avec Miguel Littin, un autre cinéaste chilien en produisant le film Compañero Presidente où l’on peut apprécier la présence de Régis Debray interviewant Salvador Allende. Il est important pour nous de souligner que quelques jours avant le coup d’état militaire mené par le Général Augusto Pinochet le 11 septembre 1973, c’est le journaliste belge Josy Dubié qui réalisa le dernier entretien avec Salvador Allende, et avec à la caméra rien de moins que Roger Beeckmans. Il est intéressant de se souvenir sur ces liens historiques avec l’Europe, qui ont attiré non seulement des cinéastes, mais également d’autres artistes, comme Conrad Detrez, un écrivain belge qui s’engagea dans la guérilla brésilienne des années soixante. Rodrigo Litorriaga : Pour en revenir au nom du festival, sachez qu’historiquement il n’a jamais été facile de nommer ce continent car c’est un territoire métissé. Il faut définir ce lieu par sa diversité et ses mélanges, et non par la prédominance de l’un de ses éléments. Il y a autant de mélange d’éléments ethniques et culturels, ibériques et indigènes, mais aussi la convergence multiple d’éléments africains, d’autres nations européennes et l’incorporation croissante de traditions du reste du monde. C’est plus une conjonction historique et culturelle qu’une homogénéité géographique. Pour le dire autrement, c’est le destin commun de ses habitants qui doit être pensé et embrassé comme un tout, tout comme lorsqu’on pense au continent européen, parce que l’histoire partagée finit par influencer la géographie. Nos prédécesseurs ont souvent eu tendance à résoudre ce problème en qualifiant le continent d’hispanique par les Espagnols, d’ibérique par les Portugais, de latine par les Français, et dans cette recherche infructueuse, on peut voir au moins symboliquement la complexité de sa composition et l’ampleur de ses difficultés. Par exemple, le festival Peliculatina, organisée à Bruxelles par La Maison de l’Amérique Latine, s’intitulait festival de cinéma latino-américain et ibérique de fiction. Ce festival dont la dernière édition fut en novembre 2021 a disparu depuis, à cause de la mise en faillite de La maison de l’Amérique Latine. J’y ai pu présenter mon dernier film La Francisca, une jeunesse chilienne, lors d’une séance organisée au Bozar avec une salle comble, cela confirme l’intérêt d’un public abondant pour ce cinéma. Face au vide laissé par la disparition de cette institution, il nous a semblé important d’agir en créant un nouveau festival dédié au cinéma d’Amérique Latine. Rodrigo Litorriaga (à droite) lors de la présentation de son film La Francisca en novembre 2021 Quel est le point de départ de KINOLATINO ? Rodrigo : C’est Ronnie qui nous a fait remarquer qu’en 2019 quatre films sur 18 longs métrages majoritaires FWB ont été tournés en Amérique Latine. Il s’agit de mon film La Francisca,

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Cinéma de l’unité populaire

Document, Entretien Cinéma de l’unité populaire Entretien publié dans les Cahiers du cinéma N°249, février-mars 1974 Helvio Soto : Quand on parle de l’Unité Populaire, il faut toujours poser la question : « Qu’a fait l’État ? ». Or, l’État a fait très peu de choses. C’est cela que j’essaie d’expliquer ici en France. Mais on prend souvent ça pour une critique violente dirigée contre l’Unité Populaire. Or, il faut bien voir que la lutte des classes s’est déroulée au Chili d’une façon très directe, sans l’intermédiaire de l’État. De même en ce qui concerne la lutte idéologique au sein de l’Unité Populaire, soit entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste, soit entre le P.C. et l’extrême-gauche. Allende a eu d’énormes problèmes à surmonter, pas seulement vis-à-vis de l’ennemi, mais aussi à l’intérieur de la gauche. Cette situation s’est retrouvée dans le domaine du cinéma ; là aussi, tout a dépendu du rapport de forces à tel ou tel moment entre les différents partis « rouges ». A un moment, c’est le Parti Socialiste qui contrôle Chile-Films, maison de production appartenant à l’État ; c’est donc le Parti Socialiste qui contrôle le cinéma. Mais il ne s’agit pas d’un pouvoir définitif. C’est-à-dire que ce n’est pas l’État qui définit une politique générale pour les communications, le cinéma, la télévision, etc. Cela ne s’est jamais passé ainsi pendant l’Unité Populaire. Deux ou trois mois après, c’était le Parti Communiste qui prenait le contrôle du cinéma et qui, à partir de ce moment, accordait des facilités à tel ou tel de ses militants… Cahiers. A la faveur de quoi se produisait ce changement d’influence, d’hégémonie sur un appareil comme Chile-Films ? Helvio Soto : La conséquence de cette situation, c’est que personne n’a rien fait parce qu’il n’y eut jamais le temps nécessaire pour mettre en chantier un projet définitif, même un projet de long métrage. Si vous examinez l’histoire de Chile-Films, vous ne trouverez aucun long métrage de l’Unité Populaire ! Vous allez dire : « Comment est-ce possible que Chile-Films, en trois ans d’Unité Populaire, n’ait pas réussi à produire un seul long métrage ? » C’est qu’on a passé ces trois années à discuter de projets qui changeaient selon l’évolution du rapport de force à l’intérieur de Chili-Films. Tantôt on se centrait sur tel projet, puis sur tel autre et finalement, c’est logique, on n’a rien fait. Je ne peux donc que répéter ce que j’avais déjà dit à Marcorelles et qui avait agacé pas mal de gens : ce sont des cinéastes indépendants qui ont fait leurs longs métrages à eux, un peu à côté de l’Unité Populaire, sans direction politique, comme des francs-tireurs. Ils se disaient : « Je suis de gauche et je vais faire quelque chose dans ce sens. » C’est ce qu’ont fait Aldo Francia et Miguel Littin. Francia, lui, est chrétien, il s’est dit : « Je vais aider l’Union Populaire en faisant un film pour un public que je connais bien, le public catholique du Chili, et en disant à ce public qu’il faut se rallier à l’Unité Populaire. » Si vous demandez à Francia qui lui a demandé de faire ce film-là, quelle directive politique il a suivie, il vous dira : « Personne. » C’est la même chose pour Littin quand il a fait La Terre promise qui a remporté le Prix Sadoul. Il s’est dit : « Je connais bien le monde des paysans et je vais faire un film sur les premiers syndicats paysans au Chili, en mêlant des images du présent avec des images du passé, des années 30, de la première révolution socialiste du Chili, révolution qui dura trente jours. » Mais si vous demandez à Littin pourquoi il a fait cela, quel rapport il y a entre son film et la direction politique de l’Unité Populaire, il vous dira : « Aucun. » Tous ces films ont été faits par des indépendants, sauf Patrice Guzman qui a fait La Première Année (première partie de La bataille du Chili), le seul d’entre nous à avoir travaillé à Chile-Films, avec la volonté d’être, en tant que cinéaste, utile aux différents partis de gauche, ce qui impliquait de sa part pas mal de souplesse tactique. Il a pris une caméra et il a fait La Première Année. C’est presque un reportage, un documentaire. Et s’il est vrai qu’il y a eu pas mal de documentaires tournés pendant l’Unité Populaire, il n’y a eu, je le répète, aucun long métrage en dehors de ces films isolés. Il en va de même pour la télévision. C’est un domaine que je connais bien parce que j’y ai travaillé deux ans et demi avec Olivares, le patron de la télé, qui est un ami à moi et qui, lui, y a travaillé trois ans. On n’arrêtait pas de dire : il faut une politique claire pour la télévision, autrement on ne pourra pas travailler. J’ai quitté le Chili en mars 1973 sans avoir jamais eu sous les yeux un seul papier, même rédigé en chinois, où j’aurais pu lire : Vous, fonctionnaires de l’État qui êtes chargés de la télévision, vous devez suivre telle ou telle politique, a ne s’est jamais produit et je pense que mon ami Olivares a attendu en vain ce papier jusqu’à la fin. De notre côté, nous avons essayé de savoir ce que les militants souhaitaient voir à la télévision. Mais quand on demandait à un camarade de l’extrême-gauche : « Qu’est-ce que tu penses de la télévision ? » on en arrivait tout de suite à la conclusion que la télévision chilienne devait être ce qu’aurait été la télévision en Russie en 1923, c’est-à-dire une barricade. Moi, j’étais assez d ’accord avec cette idée, mais malheureusement ce n’était pas celle du grand patron qui s’appelait Salvador Allende. Je disais à ces camarades d’extrême-gauche : « D’accord, mais je suis fonctionnaire de l’État, la télévision ne m’appartient pas, et à vous non plus. » Quand on posait

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Trigal, adolescentes et désir

Dans son premier film, Trigal, Anabel Caso puise dans ses souvenirs d’adolescence et construit à partir de là une histoire aussi évocatrice que douloureuse. Sofía, la cousine de la ville, rend visite à Cristina et à sa famille à la campagne. Elles regardent des photos d’hommes à moitié nus, s’exercent à mettre du rouge à lèvres, flirtent avec des rancheros (fermiers) aux intérêts ambigus, creusent leurs désirs et leurs peurs. 

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Règle 34 : Repousser ses limites

Entretien textes Règle 34 : Repousser ses limites Par Jennie Kermode 26 novembre 2022 Lorsque je suis entré en contact avec Júlia Murat, réalisatrice brésilienne, venait à peine d’arriver à New York pour projeter son film Regra 34 (Règle 34). C’est l’histoire de Simone (interprétée par Sol Miranda), une jeune femme qui travaille comme cam-girl afin de financer ses études de droit. Lorsqu’une amie et collègue travailleuse du sexe essaie de la persuader d’expérimenter la douleur et le bondage, Simone est d’abord réticente, notamment à cause de la sémiotique de se mettre dans cette position en tant que femme noire, mais lorsqu’elle commence à tester les limites dans sa vie privée et professionnelle, elle s’embarque dans un voyage qui change sa perspective sur le monde et la façon dont elle interagit avec les autres. L’idée, me dit Júlia, était de développer un personnage qui est éloigné du monde et qui, d’une certaine manière, est extrêmement privé, mais qui donne l’apparence d’avoir des relations faciles et proches avec les autres. Simone est un personnage qui a eu une vie difficile, confronté à diverses formes d’oppression et qui, pourtant, a réussi à faire son chemin dans une société qui exige beaucoup d’elle. D’une certaine manière, elle a créé une barrière”, explique Júlia. “Elle a créé comme un mur entre elle et l’univers qui lui a permis de se protéger. Et c’est exactement ce mur qu’elle essaie d’affronter maintenant. C’est ce que je pense. Donc, bien que ce ne soit pas à cause de cela que j’ai créé cet univers, je pense que ces caractéristiques définiraient ce que je recherchais pour créer le personnage de Simone. Alors quelle est la raison pour laquelle elle créé cet univers ? Quelle était la partie la plus importante de l’histoire qu’elle voulait raconter ? Pour l’expliquer, elle devra revenir un peu en arrière pour parler de l’histoire du projet, qui a commencé par son désir de faire un film sur la sexualité. Je ne savais pas exactement ce que je cherchais. J’ai donc commencé à étudier la pornographie. Et j’ai commencé à l’étudier parce que, bien que je ne sois pas une personne moralisatrice, j’avais toujours eu un préjugé sur la pornographie. Je n’en ai jamais eu le moindre désir. Il y avait donc quelque chose derrière l’idée de l’univers de la pornographie qui m’intéressait. Je suis donc parti de ce processus, en étudiant beaucoup la pornographie, et j’ai fait une interview de Sasha Grey. C’est une actrice américaine. Dans cette interview, elle disait que la pornographie consiste à repousser ses limites, qu’elles soient sociales, émotionnelles ou corporelles. Quand j’ai écouté cette interview, j’ai réalisé que c’était quelque chose que je pouvais non seulement relier à ma vie, à mes désirs, mais aussi que je pouvais comprendre. Je pouvais m’y attacher. C’est donc à partir de cette interview que Simone est apparue. Simone est quelqu’un qui essaie d’étendre ses limites – toutes sortes de limites. J’ai décidé de faire un film sur quelqu’un qui essaie de repousser ses limites, et pour ce faire, j’ai décidé d’introduire le désir de violence. Mais je pensais que je le faisais parce que le désir de violence était quelque chose que j’avais aussi un énorme préjugé. Ma mère a été emprisonnée pendant la dictature au Brésil. Elle a été très torturée, alors j’ai été élevé avec cette idée de torture qui était très forte dans mon esprit. Donc l’idée d’avoir un désir de violence était quelque chose que je ne pouvais pas complètement comprendre. Comme je veux que Simone repousse ses limites, j’ai décidé de choisir un sujet pour lequel je devrai repousser mes propres limites. C’est pourquoi la violence est entrée dans la liste. J’ai donc un film sur quelqu’un qui était prêt à repousser les limites pour le désir de violence, mais au Brésil, et j’ai commencé à réaliser que cela parlait du désir de violence dans une société patriarcale – bien sûr, toutes les sociétés sont patriarcales, mais au Brésil, c’est encore pire. Quand j’ai commencé à réaliser cela, j’ai aussi compris que je ne pouvais pas, ou ne devais pas, ou ne voulais pas parler du désir de violence sans le contextualiser. C’est alors qu’est venue l’idée de la défense publique, parce que si nous parlons d’oppression, de violence, des exigences de la société envers un individu, tous ces sujets sont complètement définis par un système pénal. Le système pénal est donc venu pour essayer de contextualiser l’ensemble du processus de violence et d’oppression. Dans le film, nous voyons Simone apporter son aide dans des cas de violence domestique. Certains de ces cas impliquent de la violence, mais dans l’un d’entre eux, des inquiétudes sont soulevées quant à un comportement de contrôle. Júlia a-t-elle estimé qu’il était important de souligner les différentes formes que peut prendre la violence ? Oui, dit-elle, pour de nombreuses raisons, mais l’une d’entre elles est que [en 2006] nous avons eu un changement de loi. Nous avons commencé à avoir cette loi appelée loi Maria da Penha, pour la violence domestique. Et dans cette loi, elle définit, je pense, cinq types de violence différents. L’une d’elles est la violence physique, mais toutes les autres sont la violence de contrôle, la violence financière, toutes ces sortes de violence, la violence abusive qui ne concerne pas le corps physique. Il y a une discussion dans le film sur l’échec de l’utilisation du système pénal pour aider à la liberté des femmes. Ainsi, la façon dont les hommes ont choisi, au Brésil, d’essayer de lutter contre l’oppression, consiste en fait à utiliser un autre système oppressif. Pour moi, faire intervenir Maria da Penha à tous ses niveaux était important non seulement pour parler de ces différents types de violence qui existent dans le monde, mais aussi pour parler de ce système que nous, en tant que personnes anti-oppression, utilisons, tout comme utiliser l’oppression pour créer une autre oppression. Nous parlons de la façon dont le film aborde les questions autour de l’autonomie et

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Tengo sueños eléctricos

Entretien textes Tengo sueños eléctricos Par Auteur 25 novembre 2022 Eva semble prise au piège dans des limbes où son père a hérité de son goût pour l’art et la liberté, mais aussi de la violence, tout cela en l’éloignant jour après jour de sa mère, qui n’est pas son modèle. Comment avez-vous travaillé sur le personnage du père ? L’avez-vous basé sur une expérience personnelle ? Pour tous les personnages, je me suis beaucoup inspiré de personnes que je connais. Bien que le film ne soit pas vraiment autobiographique, il y a des choses de mon propre père, ou de mes oncles, dans le personnage de Martin. Je viens d’une famille d’artistes dans laquelle il y a des gens formidables qui ont en même temps un côté très violent. J’ai voulu représenter ce paradoxe : comment une personne aussi attachée à la vie peut-elle être traversée par des pulsions aussi néfastes ? Comment parler de la violence à partir de cette complexité, sans rester à la surface de l’idéalisation ou de la condamnation ? Je crois que les héritages sont toujours à la fois une bénédiction et une condamnation. Et les pulsions de vie et les pulsions de mort sont également liées. Ce n’est pas une fatalité à laquelle on ne peut échapper, mais il y a ceux qui ont besoin d’aller dans l’obscurité pour mieux sentir la lumière. Et je sens que Martin est un tel personnage, et Eva est fascinée par cette contradiction. Mais elle finit par cesser d’être fascinante lorsqu’elle comprend qu’elle génère de la souffrance.Comment une personne aussi attachée à la vie peut-elle être animée de pulsions aussi néfastes ? Comment parler de la violence à partir de cette complexité, sans rester à la surface de l’idéalisation ou de la condamnation ? On pourrait dire que J’ai des rêves électriques parle d’une adolescente et de sa relation avec les adultes, mais la vérité est qu’ils se comportent tous comme des adolescents, pourquoi pensez-vous que c’est le cas ? L’adolescence est souvent dépeinte comme ce lieu fragile et instable qui précède la maturité. Il y a parfois quelque chose de très linéaire dans le genre du passage à l’âge adulte, qui, selon moi, ne ressemble pas à la vie. Je pense que les adolescents nous mettent mal à l’aise parce qu’ils savent quelque chose sur nous, les adultes, leur regard nous déshabille et nous dérange. Ils osent remettre en question le fonctionnement du monde, ils veulent accéder à des vérités absolues. Ils ont des aspirations que nous, adultes, avons déjà abandonnées, et ils nous les rappellent. Et devant eux, nous, adultes, ressentons le poids des promesses que nous nous sommes faites autrefois et que nous n’avons pas tenues.Je crois que les adolescents nous mettent mal à l’aise parce qu’ils savent quelque chose sur nous, les adultes, leur regard nous déshabille et nous dérange. La violence dans les familles est toujours un sujet intéressant, comment vous êtes-vous préparé à écrire le scénario du point de vue psychologique ? J’ai vraiment essayé de ne pas entrer dans des considérations psychologiques très précises. Pour le spectateur, il serait peut-être plus confortable de pouvoir comprendre d’où vient la violence de Martin, mais j’ai préféré penser à la violence comme à quelque chose qui est là, et dont nous sommes témoins comme dans la vie réelle, sans comprendre d’où elle vient, sans être prêt à l’affronter. Avec les acteurs, j’ai travaillé sur la façon dont elle se manifeste au niveau physique, comment elle peut éclater d’une seconde à l’autre, dans une escalade imprévisible, comment elle donne un sentiment de superpuissance, d’adrénaline addictive. Mais comment cela épuise aussi un corps après l’avoir traversé. Comment elle laisse vides à la fois ceux qui l’ont subie et ceux qui l’ont exercée.   Je me suis également intéressé à la manière dont la violence dans les familles est parfois un langage, tout comme l’affection. Elle s’apprend dans l’intimité, c’est ce qui est familier, ce que l’on connaît. Et c’est pourquoi il est si difficile d’en parler, de le séparer de qui vous êtes. J’ai préféré écrire à partir de là parce que la psychologie donne une distance confortable, ce sur quoi on ne peut pas toujours compter dans la vie. Travaillez-vous sur d’autres projets ? Oui, je pense que je suis en train d’écrire quelque chose sur la relation avec la mère, mais ça pourrait changer. Je ne sais pas où les personnages vont m’emmener cette fois-ci. Je vais les laisser me guider. ARTICLE ORIGINAL Sur le même sujet Partagez cet article

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